
Conduite du changement: 4 leviers principaux
Du Sens à l’Action… et inversement
« De grandes conséquences peuvent être produites par de petites actions quand les gens changent la seule chose qu’ils peuvent changer : leurs propres actions » K. WEICK
« Il est souvent plus difficile de convaincre ses subordonnés que ses supérieurs. Il est vrai que l’on y consacre moins d’énergie… » A. DETOEUF
« Si vous n’arrivez pas à les convaincre, troublez-les…» H.TRUMAN
« Qui ne connait la valeur des mots ne saurait connaitre les hommes… » CONFUCIUS
Les dirigeants savent bien la difficulté qu’il y a à obtenir les meilleurs résultats par le seul jeu des objectifs, de l’appel à l’engagement collectif et à la conscience professionnelle des personnes. Une expression à la mode est qu’«il faut donner du sens »…
L’échec des méthodes classiques de « management par objectifs » est aujourd’hui avéré, même pour ceux qui s’efforcent d’y mettre une dose « participative ».
Les difficultés sont d’autant plus grandes lorsqu’il s’agit de changer l’entreprise dans un environnement de plus en plus complexe et incertain, dans lequel chacun est légitime à donner à la réalité perçue un sens qui n’est pas celui des autres.
Les idées et les concepts ne changent rien à la réalité qui n’est jamais ce que les gens croient. De plus, ce que les dirigeants (ou les consultants) disent a toujours été moins vrai que ce que les gens font…
Seule l’action change les choses, mais le sens partagé conduit généralement à l’action.
Puisque les grands projets de changement conduisent souvent à des déconvenues, le dirigeant pragmatique pourra s’inspirer de 4 leviers tirés de ces constats, pour faire passer naturellement son entreprise à un niveau supérieur d’efficacité et d’ambition.
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1. La REALITE, la perception
« Notre BFR est trop important !… »
- Normal, nos clients paient de plus en plus tard. On n’y peut rien..
- Ce n’est pas mon problème, moi je développe mon CA…
- C’est quoi le BFR ?…
- …
Les faits et les chiffres, aussi objectifs soient-ils, sont toujours perçus individuellement et interprétés différemment par les acteurs de l’entreprise. Telle menace apparaîtra grave ou sera minimisée selon les personnes. Certains verront même pour l’entreprise des forces dans les faiblesses ou des menaces dans les opportunités.
Ces différences de perception peuvent être une richesse lorsqu’il s’agira de générer des idées mais c’est aussi un frein au changement quand les débats remplacent l’action.
C’est encore plus grave lorsque des représentations héritées du passé ont colonisé les esprits et conduisent à refuser tout questionnement.
S’il est normal que s’affrontent les idées lors de la recherche de solutions, l’identification partagée du vrai problème à régler est le seul point de départ valable de toute réflexion.
Un travail de redécouverte de la réalité, de partage des perceptions et de nouvelles interprétations est donc crucial pour amorcer un processus de transformation et d’innovation.
Un des rôles clés de l’équipe de direction est de faire parler les faits et les chiffres, et faire partager la perception de ce que cela implique pour l’entreprise et pour les personnels.
2. L’ACTION, le « next step »
Toute action, même à très courte échéance change la réalité, ne serait-ce que celle de l’acteur individuel. Or si les hommes n’aiment pas changer, ils sont très doués pour l’adaptation lorsque la réalité (ou sa perception…) se modifie :
-Quelle date prévois-tu pour la livraison ?
-Je ne sais pas. Çà dépend…
-Quand sauras-tu ?
-Quand j’aurai parlé avec Antoine…
-Quand lui auras-tu parlé ?
-Avant la fin de la semaine…
-On se voit donc Lundi pour confirmer la date !
Le but est hypothétique. Seul le chemin parcouru est réel
Le parti pris de l’action ne doit pas être compris comme un refus de la réflexion, mais comme un principe de recherche des « Plus Petites Actions Indiscutables » (« que fait-on Lundi ? ») qui font avancer les choses dans la bonne direction, quel que sera le résultat final que l’on ne peut pas encore garantir.
L’action est donc à la fois la conséquence du changement des esprits, mais aussi son moteur essentiel.
3. L’EMOTION, l’engagement
Tout musicien de jazz a éprouvé le sentiment que lorsqu’il joue en public sa qualité de jeu et sa richesse d’improvisation sont meilleures.
C’est vrai pour toutes les personnes, individuellement ou en groupe.
L’émotion crée de l’énergie. Cette énergie peut se traduire dans la fuite (refus, déni) ou la paralysie (timidité pathologique). Mais le plus souvent, notamment lorsque la perception (l’interprétation, la direction, la sensation) est positive, l’émotion génère chez les personnes et les groupes une énergie mobilisable pour le changement.
« Regardez leurs yeux, pas leurs dossiers… » conseillait à ses pairs un PDG connu …
Par exemple, une simple règle efficace est celle qui oblige tout porteur d’une idée ou d’un dossier, à exprimer clairement sa propre recommandation et non pas seulement les tenants et aboutissants du sujet traité.
C’est la mise en situation inhabituelle des personnes, en dehors des structures, procédures et routines qui crée de l’émotion. Elles vivent ainsi une expérience individuelle ou de groupe.
On peut ajouter que mettre les acteurs en situation nouvelle et même d’inconfort révèle plus vite les potentiels réels des uns et des autres…
Ce n’est pas pour autant que les structures et les procédures doivent disparaître. Outre qu’elles sont indispensables à la gestion courante, leur existence souligne d’autant mieux le sens qu’il faut donner à la dérogation dans la recherche de voies nouvelles.
Ce principe d’action permet aussi au dirigeant de manifester son esprit d’ouverture et sa volonté de changement.
4. Le LANGAGE, les routines
Combien d’ « idées » potentiellement intéressantes sont des échecs parce que qualifiées prématurément de « projet » ou parce que mises en exploitation sans « exploration » préalable suffisante ! Combien d’entreprises énumèrent leurs « forces et faiblesses » sans analyse véritable de la « différenciation » qu’elles représentent ! Combien de managers se perçoivent comme « chefs de… » et non comme « garants de… » ! Combien de « gestion par processus » sont vécues comme « administration de procédures » ! Combien de fois peut-on observer dans l’action la confusion entre « important » et « urgent » ou entre « comité » et « groupe de travail »…
Il est impossible de maîtriser la complexité du monde actuel et l’incertitude inhérente à l’innovation avec des équipes insuffisamment outillés de concepts communs.
Les choses aujourd’hui vont vite. La concertation et la prise de décision dans l’entreprise doivent aller de même…
Ainsi par exemple, on sous-estime trop le potentiel de progrès qui peut découler dans toutes les dimensions de l’entreprise, d’une action simple codifiant le type de réunions, leur format, et leur critère de qualité.
L’équipe dirigeante doit donc s’attacher à définir et faire partager aux personnels des formulations conventionnelles « maison » qui, bien que simples, sont porteuses de sens même si elles recouvrent des réalités plus complexes :
- Le socle des valeurs, des principes d’action et des comportements,
- Les objectifs globaux,
- Les interprétations à donner aux informations et aux histoires communes,
- Les désignations des étapes de l’action (ex : développement produit)
- Les routines
Pour faire progresser le langage commun vers plus de capacité à appréhender la complexité, il faut donc des mots et formules codifiées relativement simples significatives des réalités vécues et facilitant le partage des perceptions.
Le danger qu’il faut éviter, c’est d’adopter trop vite ce type de raccourcis au seul niveau de l’équipe de direction, sans qu’ils soient ancrés dans la compréhension et le vécu des personnels.
Un langage riche permet une réflexion riche et il doit être à la hauteur des challenges et du besoin de créativité de l’entreprise.
Un parti pris d’action, un bon outillage commun (langage), une redécouverte partagée de la réalité, et une dose continue d’émotion qui entretient l’énergie sont 4 moteurs puissants de l’innovation et du changement.
Réalité-Emotion-Action-Langage (REAL-isme !)
François Dert
Décembre 2014