BUSINESS MODEL: « ÊTRE LEADER » A-T-IL ENCORE DU SENS… ?
Il est courant de dire que ce n’est pas au leader de changer les règles du jeu, mais vouloir être leader sur un marché a-t-il encore du sens quand le terrain change et que les armes ne sont plus les mêmes ?
L’environnement des entreprises est de plus en plus instable. Les menaces et les risques, comme les opportunités se multiplient. Les positions les mieux établies comme les frontières des marchés sont dramatiquement remises en cause. Celles des PME qui réussissent aujourd’hui grâce à un travail permanent sur leurs avantages compétitifs, en sont fondées à se poser la question de la pérennité de leur modèle de réussite.
Il semble bien que lorsque les repères des métiers et des marchés sont bousculés, les termes mêmes de compétitivité et de leadership deviennent douteux en même temps qu’incantatoires…
Beaucoup de dirigeants d’entreprises, parmi les plus prospères de leur secteur, hésitent à affirmer qu’ils sont leaders. Certains hésitent même à décrire clairement les causes de leur réussite. Ils savent généralement qu’ils sont 1er, 2ème ou 3ème en taille, chiffre d’affaires ou en taux de croissance, ils s’efforcent évidemment d’offrir les meilleurs produits, développer un système commercial à la hauteur, et ils bénéficient souvent de certains atouts liés aux coûts. Mais sur un ou plusieurs de ces facteurs de compétitivité, ils sont souvent challengés ou même quelquefois dépassés par des concurrents tout à fait respectables… mais qui n’affichent pas les mêmes excellents résultats.
C’est que chaque entreprise a un modèle unique. L’entrepreneur qui réussit sait que cela tient à la vision plus ou moins innovante qu’il se forme de ses clientèles, du type de relation qu’il va établir avec eux ainsi qu’aux processus internes, au jeu des acteurs et partenaires externes qui y contribuent. Il ne se détermine pas par une ambition de part de marché comparativement à des concurrents. Il crée pragmatiquement de la valeur à partir de ce qu’il est, de ses ressources , et non sur la base d’une planification stratégique inspirée par la concurrence.
Dans le monde actuel les repères changent sans cesse. La technologie, les réseaux sociaux, les comportements et les exigences des clients, la toile de fond politique et économique mondiale, ont bouleversé tous les marchés, les processus de production et les rapports commerciaux. Toutes les chaînes de valeur sont touchées (banque, santé, éducation, équipement des ménages, tourisme, bâtiment, biens industriels…). Les frontières entre les métiers deviennent floues. L’agent de voyages, distributeur-conseiller devient aussi tour opérateur et le maçon fait de l’isolation thermique et installe des fenêtres.
Il n’y aura bientôt plus que dans le Sport qu’être le N°1 sur un terrain gardera une signification sans ambiguïté,… bien qu’éphémère.
Dans tous les métiers, les choix qui ont fait la réussite ne garantissent pas à l’entreprise pour beaucoup plus de 3 ans la continuation d’une croissance rentable. Les dirigeants les plus lucides savent donc aujourd’hui qu’il ne suffit plus de renforcer les armes de compétitivité en restant dans le même modèle pour garantir la continuité de la réussite. Quant à la croissance par acquisitions, l’achat de parts de marché n’a de sens que si le business model en sort renforcé autrement que par la taille. Pour garantir la pérennité au-delà, c’est l’adaptabilité du modèle lui-même de l’entreprise qu’il faut donc garantir sous peine d’impasse stratégique.
Sans même prétendre réinventer un modèle et changer radicalement les règles d’un marché comme l’ont fait de tous temps de nombreuses entreprises novatrices (Ford, Ikea, Dell Apple-iTune, Nespresso, Cirque du Soleil, Amazon, RyanAir ou Google), toute PME se doit d’examiner de façon critique et créative les diverses composantes de son modèle.
La robustesse du modèle actuel, tout d’abord. Dans un questionnement systématique sur les segments de clientèles servies, l’offre, la valeur ajoutée réelle des canaux de commercialisation ou sur l’efficacité des processus et allocations de ressources, certaines questions prennent une importance nouvelle :
- Quel serait le coût pour le client s’il voulait changer de fournisseur ?
- Quel est le statut de la relation avec le client (simples transactions ?, collaboration ?, processus communs?, partenariat ? etc.)
- Quels sont les interactions (positives ou négatives) entre les différentes composantes du modèle actuel ? (par exemple : entre relation client et trésorerie, partenariats et structure des coûts, canaux et image de l’offre, ressources-clés et puissance de l’offre, etc.)
- Y a-t-il dans le modèle actuel des « cercles vertueux » qui le rendent robuste (par exemple lorsque le nombre, la qualité des clients ou le type de relations entraînent de facto une amélioration de l’offre…)
Rechercher des opportunités de consolidation du modèle de l’entreprise représente le deuxième volet de la démarche. Partir des dimensions du modèle enrichit considérablement l’approche classique de la stratégie (compétitivité, diversification, recentrage, etc). Par exemple :
- Quels partenariats seraient susceptibles de renforcer l’offre ?
- Y aurait-t-il autour de l’activité des possibilités de revenus complémentaires/récurrents ? (par exemple : royalties, entretien, pièces détachées, « pay per use », etc. venant d’un parc installé consolident plus sûrement le modèle qu’une facturation à l’équipement vendu).
- Quelles dispositifs (processus, ressources clés, partenariats, etc), pourraient-il protéger l’entreprise des principaux risques et menaces identifiés ?
- Est-il possible d’ « i- maginer » un écosystème dont l’entreprise serait partie prenante ou même le centre ?
- Et si on changeait le poids des facteurs-clés de succès dans la recherche de performance?
Les entreprises qui réussissent à créer de la valeur dans la durée se sont transformées peu à peu au cours du temps. Les choses allant plus vite aujourd’hui, la capacité d’adaptation devient un élément-clé de la robustesse du business model.
Les diverses briques du modèle (clientèles, offre, canaux, processus, partenariats, ressources, relations, revenus, coûts, facilité d’adaptation, etc.) constituent un édifice dont la structure et les interactions le rendent plus ou moins solide face aux aléas de l’environnement.
Ces composantes doivent être revues périodiquement avec créativité pour générer de nouveaux scénarios de consolidation et de développement.
Le problème aujourd’hui est moins d’ « être-le-leader-sur-son-marché » que d’avoir un modèle efficace, de préférence unique, et robuste qui capte la valeur où qu’elle se trouve.
François Dert
Septembre 2014
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